Pearl Day [Validée - Gardienne]

- Alors ? votre verdict docteur ?
- C’est un cas complexe, je ne peux pas, éthiquement parlant, avoir eu le dossier d’une patiente telle que Pearl dans les mains sans recommander un internement temporaire. Attention, j’utilise le mot internement mais comprenons nous, votre sœur n’est pas folle, elle est juste très très fragile. Je ne peux pas la laisser repartir de notre consultation en sachant qu’elle va rester dans le cercle de la vie normale. Vous devez comprendre que c’est pour son bien psychologique que je recommande cela. Et bien sur si vous avez des questions je m’efforcerais d’y répondre.
- Qu’est ce qui l’a rendu comme ça ? elle ne parle pas, elle n’a jamais parlé de ce qu’elle pouvait ressentir, et ça depuis qu’elle est petite, elle n’a jamais été affectueuse avec nos parents ou même avec moi qui suis sa sœur pourtant. On ne s’est jamais bagarrées, on ne s’est jamais disputer pour la moindre broutille, rien du tout.
- Elle évite la confrontation. C’est ce qui ressort le plus du bilan de votre sœur. Il y a du avoir quelque chose, un événement, une période, ça peut être quelque chose d’insignifiant comme quelque chose de très présent dans son quotidien, mais il y a quelque chose qui affecte le comportement de Pearl. Comme je vous le disais, elle évite la confrontation, elle n’est pas elle-même, elle n’est pas la personne qu’elle devrait être, elle l’enfouie au fond d’elle pour éviter tout conflit, principalement avec les gens qui semblent compter pour elle. Elle n’a pas confiance en elle et c’est pour cette raison que j’ai peur de la laisser vivre seule ou avec vous, elle a besoin de soutient psychologique c’est indiscutable et je pense qu’un placement en institution est la meilleure solution pour la protéger.
- Faites ce qu’il faut pour que ma sœur aille mieux, qu’elle ne se laisse plus manipuler par des fous furieux comme ce malade, c’est lui qui devrait se faire soigner !

*Non je ne lui dirais rien, je ne veux pas être là. Je déteste ma sœur, je ne lui ai jamais rien fait et elle me fait enfermer dans cette établissement ! et bien soit ! si c'est une folle qu'ils veulent c'est raté.*
- Bonjour Pearl, je sais que tout cela doit vous sembler étrange et effrayant mais sachez que si votre sœur nous a permis de vous accueillir ici c'est pour votre bien uniquement.
*Pour mon bien ? tu parles, je sais exactement pour quelles raisons je suis ici. Parce que je ne suis pas correcte, parce que j'ai fais preuve d'instinct grégaire en suivant celui que j'aime et en ne refusant rien de ce qu'il me demandait, ou me demandait de faire. Ce n'est pas parce que ma sœur à un balais dans le cul qu'il faut qu'elle joue soudain son rôle de grande sœur modèle pour venir sauver la frangine en perdition. Regarde moi bien ma belle, tes théories et tes thérapies, je m'en fous comme de ma première clope tu peux me dire tout ce que tu veux je ferais semblant de te croire et de t'écouter. Je suis pas stupides je sais bien ce que tu veux entendre et si te mentir me fera sortir d'ici plus vite, grand bien m'en fasse, je te mentirai, je dirais tout ce que tu veux entendre. Je n'ai pas besoin de vos foutues thérapies, ce que je veux c'est lui. Je veux le retrouver, je veux pouvoir lui faire comprendre ce qu'il m'a fait, ce que j'ai accepter pour lui et s'il a le malheur de disparaitre pendant que je suis enfermée ici, il le regrettera. Jamais je ne pourrais le laisser me quitter de la sorte, jamais il ne pourra vivre tranquillement tant qu'il n'aura pas compris à quel point je l'aime et combien j'aurai pu tout, absolument tout faire pour lui.*

- Alors Pearl, c’est demain le grand jour ?
- Il me semble oui, j’ai un dernier examen à passer avec ma thérapeute mais je devrais bien m’en sortir, j’ai bien révisé …
- Je n’en doute pas, une patiente comme toi ça fait plaisir de la voir partir. Enfin ce que je veux dire c’est que je suis contente que tu ailles mieux, et que le séjour dans le centre t’ai permis de retrouver qui tu étais, je suis contente de te voir sortir. Tu n’as pas ta place parmi les fous…
- Les fous ? mais non voyons il n’y a pas de fous, il n’y a que des personnes très fragiles psychologiquement, c’est le baratin qu’ils ont servit à ma sœur pour qu’elle m’envoie ici au lieu de me foutre la paix.
- Mais ça t’as fais du bien.
- Tu m’aurais demandé ça une semaine après mon arrivé je pense que je te l’aurais fait regretter, mais aujourd’hui je dois avouer qu’elle avait raison. Je suis plus celle que j’étais, je ne suis plus cette fille faible et fragile. Je ne me laisserais plus marcher sur les pieds et manipuler. Quant aux mecs, je vois pas quel personne pourrait leur faire confiance. Moi je ne peux pas, pas après ce qu’ils m’ont fait subir toutes ces années.
- Tu as raison, on voit que t’as bien réviser pour demain … il faut te coucher, demain c’est le grand jour, bonne dernière nuit chez les fous …

- Dites moi ce que vous voyez dans le miroir Pearl.
La voix calme et rassurante de la thérapeute parvenait à ses oreilles comme une légère vague qui allait l’emporter. Elle avait besoin de partir d’ici, il le fallait, ce centre l’étouffait, il lui fallait retrouver sa liberté, alors mentir à sa thérapeute ne serait qu’une formalité. Elle savait ce que cette femme voudrait entendre et elle allait le lui servir sur un plateau. Regardant tout d’abord son reflet droit dans les yeux, ses yeux gris bleus qui semblaient vides. Vide de sens, vide de toute émotions, comme si l’âme qui y avait résidée était partie du jour au lendemain, laissant un vague courant d’air. Elle scruta son visage, dont l’ovale était brisé lorsqu’elle souriait, marqué par ses pommettes saillantes. Ses lèvres pleines et pourtant fines qui n’avait plus affiché depuis trop longtemps ce sourire mutin qui lui allait si bien. Furtivement elle jugea le reste de son corps, son cou, ses seins petits mais fermes, sa taille fine, ses cuisses et ses longues jambes fuselées qui ne s’était plus montrées au jour à l’exception des ablutions quotidienne. Regardant à nouveau son reflet dans les yeux, comme si celui-ci l’encourageait à sortir la phrase qui allait lui faire quitter ce centre elle laissa ses lèvres s’étirées en un faible sourire que la thérapeute ne laissa pas passer et sourit elle aussi au reflet de sa patiente.
- Alors Pearl, que voyez vous ?
- Je vois … je vois une jeune femme, blessée mais elle est jolie. Elle veut reprendre le dessus, elle veut s’en sortir, elle en a la force.
- Et qui est cette jeune femme que vous voyez ?
- C’est moi. Cette jeune femme c’est moi, Pearl Day.

Il est tard, tard pour un jour de semaine et bien tard pour une petite fille de huit an qui a école demain. Bien tard et pourtant elle ne dort pas. Elle voudrait dormir, si fort, pouvoir ne rien entendre. Mais les murs de l’appartement son fins, mal isolés. Elle est seule dans cette chambre, sa grande sœur n’est pas là pour la protéger. Rabattant son oreiller sur sa tête, se calfeutrant sous sa couette elle ferme les yeux très fort, elle serre sa couette de toutes ses forces de petite fille. Elle voudrait que ça s’arrête, ne plus rien entendre. Les cris, les gémissements, les supplications, puis les coups, les pleurs d’une mère qu’elle aime tant, les injures et les menaces de cet homme qui n’est même pas son père. Tout ce vacarme est insupportable et sans s’en rendre compte, les larmes coulent sur ses joue, sa respiration saccadée, elle hoquette. Il n’y a plus que ses propres sons à présent. Puis des pas chancelants qui résonnent dans le couloir, la porte qui s’ouvre violemment et l’homme qui enlève de rage la couette, voyant cette toute petite fille, ses grands yeux bleu baignés de larmes et les menaces de la faire pleurer encore plus si elle dit un seul mot de ce que ses petites oreilles ont entendues.

L’eau chaude qui ruisselle sur son corps, évacuant les dernières particules de savon sur sa peau, d’un geste rapide, calculé elle attrape la serviette qu’elle enroule autour d’elle. Elle déteste ça, cette promiscuité, ces corps nus autours d’elle. Tous des corps comme le sien ou presque, toutes des filles qui trainent en se changeant dans le vestiaire. Ses yeux ne savent où se poser, elle est mal à l’aise, elle ne connait personne dont elle pourrait croiser le regard réconfortant. Etre la nouvelle dans un endroit n’est jamais facile mais quand on a tout juste vingt ans, qu’on vient d’enterrer sa mère et que l’on se retrouve à l’autre bout du pays là ou on ne connait personne, nos yeux cherchent en vain un maigre réconfort. Son regard se pose, malgré elle sur un corps qui comme elle se cache, mais pas pour les mêmes raisons. Ce dos serait bien banal, ces épaules rondes seraient tout ce qu’il y a de plus normales s’il n’y avait pas autant d’ecchymoses et de larges coupures. Un regard qui croise le sien, défiant cette nouvelle de poser toute question, de ne serait-ce qu’émettre la moindre hypothèses de violence familiale. Elle aussi a du avoir droit à ce regard perçant, menaçant par le passé.

Sentir ses mains sur sa peau, ses doigts et ses lèvres frôler son épiderme, ces douces caresses qu’elle ne pourrait lui refuser pour rien au monde. Oliver Palmer et l’homme de sa vie, elle le sait. Ce futur avocat rencontré lors d’une soirée chez un ami commun, elle l’a su et le contact a très vite était bien plus que visuel. La réunion de deux corps s’attirant irrésistiblement, cette douce et excitante électrocution qu’il provoquait rien qu’en frôlant sa peau. Puis ses mains sont remplacées par d’autres, moins attentionnées, parfois même terriblement brutales laissant des marques sur la peau fragile. Le contact d’autres corps, ces contacts qui lui plaisent tant et qui pourtant la dégoûte de plus en plus quand ce n’est pas lui. Mais elle l’aime. Et comprend l’incompréhensible, cette mère enfouie six pieds sous terre devait éprouver la même irrésistible attirance pour rester avec un homme qui lui faisait du mal. Le mal de Pearl est plus profond, plus intense, les coups de reins font plus de dommages que les coups de mains. Et l’enfer qui l’engloutie tout entière lorsque qu’un léger sillon de gouttes salées sort de ses yeux, brulant son visage, la douleur et vive et elle ne peut l’arrêter, elle ne s’appartient plus, et son corps tente un dernier appelle au secours qui cette fois sera entendu lorsque l’objet de son amour tranchera son cœur à vif en s’éloignant.

Ses yeux sont encore clos et pourtant une effluve parvient à ses narines. Une odeur particulière, un mélange de javel et de médicaments. Ce mélange si particulier qu’il est reconnaissable par toute personne ayant déjà un jour franchi les portes d’un hôpital. Un hôpital, encore un. Pourtant elle en était sortie, elle allait bien, elle avait rencontré un homme charmant, un médecin qui avait prit le temps de la comprendre, comprendre son rebut des hommes, son séjour en hôpital psychiatrique. Mais aujourd’hui elle retrouvait cette odeur, ramenant à sa mémoire des souvenirs qu’elle avait préféré laisser enfouis au fond de sa mémoire. Pourquoi était elle là aujourd’hui. Un porte qui s’ouvre apportant une fragrance supplémentaire, une odeur de légumes. Ouvrant les yeux elle distingue l’infirmière qui s’approche, poussant un chariot duquel proviennes une centaines de parfums variés qui mélangés les uns aux autres ne donne aucune envie de manger quoi que ce soit. On lui dit que si elle ne mange pas tant pis, de toute manières elle sort demain, une interruption de grossesse est une opération routinière de nos jours. Les fleurs présentes dans la chambre lui donnent des hauts le cœur. Le prince charmant s’est transformé en immonde crapaud meurtrier, endormant sa princesse porteuse de vie et la réveillant vide de toute émotions.

Portant le verre de champagne à ses lèvres, Pearl savoura le liquide emplissant sa bouche, laissant les milliers de fines bulles s’entrechoquer. Le serveur arriva quelques instant plus tard, déposant les deux assiettes devant chaque cliente, énumérant le contenu de leurs assiettes comme s’il déclamait des vers Shakespeariens avant de leur souhaiter un bon appétit. Pearl avait convié sa sœur au restaurant, elle aimait être seule mais pas le jour de son anniversaire. Ses couverts en mains, s’apprétant à couper un morceau du médaillon de bœuf qui trônait dans son assiette, la sonnerie de son portable se fit entendre. S’excusant d’un signe de tête à sa sœur elle décrocha bien que le numéro soit inconnu.
- Pearl Day ?
- Mademoiselle Day, vous nous ne nous sommes encore jamais parlez mais sachez que monsieur Palmer est arrivé, comme vous en aviez parler avec une de nos habitantes vous êtes désormais libre de nous rejoindre ou non.
- C’est parfait, quand puis-je partir ?
- Quand vous le voulez.
- Dans ce cas, je serais là dans deux jours…puis-je vous rappellez pour les … détails ?
- Bien sur, bonne soirée.
Raccrochant, le large sourire qui s’affichait sur son visage ne pouvait que trahir l’excitation et le ravissement qui venait de l’envahir. Sa sœur étant à, à peine une longueur de bras n’avait pu faire autrement que d’entendre les paroles de sa sœur et de la questionner.
- Tu vas quelque part ?
- Oui, mon cadeau d’anniversaire est arrivé, je vais prendre quelques vacances.
- Ca va te faire du bien de t’éloigner un peu, te ressourcer. Où est ce que tu vas ?
- Je ne sais pas encore exactement, mais crois moi, je vais prendre soin de moi … et me faire plaisir, là tu peux en être certaine.
Portant finalement sa fourchette à sa bouche, elle dégusta le morceau de médaillon de bœuf, puis tout en parlant de choses et d’autres avec son aînée elle continua de manger son repas jusqu’à ce qu’elle se morde la langue. Un sourire éclaira son visage. C’était donc ça le goût de la vengeance ? un mélange de champagne, de bœuf et de sang… et bien la vengeance à très bon goût dans ce cas.